"Complètement asociale aujourd'hui que tu es, pauvre folle."
Voilà la phrase que je me répétais depuis le début de la matinée. Je ne suis même pas sortie déjeuner au restaurant, non, j'ai commandé un petit quelque chose histoire de. C'est une journée sans, comme on les appelle. Sans envie de rien, sans moral, sans sourire, sans parole. Juste des numéros tapés sur le téléphone de la cabine. Des lettres et des mots, sur le clavier de mon ordinateur. Les petits volets sont encore tirés sur les hublots. J'ai vue sur l'océan si je m'approche, mais ne vois pas le ciel. Bien que mon envie de sortir soit minime, je me sens néanmoins plus que seule. Peut-être sortirai-je ce soir, de nouveau histoire de.
Le soleil envoie une intense lumière dans la cabine, et les reflets de l'océan m'aveuglent. Ils sont bas, ces hublots, décidément. Je n'ai pas trop d'idée aujourd'hui, j'ai à peine peigné mes cheveux bruns, je me suis contentée de passer rapidement sous la douche et de rester avec un simple legging et un tee shirt long. Une flemme incommensurable d'être élégante étant donné ma solitude. Pourquoi m'habillerais-je, si c'est pour rester cachée aux yeux de tous ?
Il ne va pas tarder à être quinze heures. L'heure de deuxième café de la journée. J'attrape le téléphone sur ma table de nuit et compose cette fois le numéro du service de cabine vocal. Un jeune homme à la voix douce me répond en se présentant comme "Service de cabine du Sunrays, que puis-je faire pour vous ?", et je lui explique que je veux un café bien serré, à apporter à ma cabine. Le numéro est interminable. 4558A. Dans la cabine voisine, la 4558B se trouve une famille étrangère, ils font beaucoup de bruit mais je m'y accommode. J'espère que le serveur qui va venir ne se trompera pas de cabine, sinon je risque d'avoir la mauvaise surprise de devoir recommander quelque chose.
En attendant, je décide de m'allonger sur le lit et de fermer mes yeux. Le décalage horaire avec New York, peut-être est-ce cela qui me perturbe tant et qui me détruit le moral... Ou peut-être la solitude que je connais depuis le départ de Natalia, il y a de cela trois longues années. Elle me manque, souvent, mais j'évite d'y penser histoire de ne pas trop ressentir ce grand vide au fond de moi. Elle est partie avec la moitié de mes organes vitaux, même si par fierté j'avais du mal à l'admettre à l'époque, elle comptait plus que tout pour moi. Par quel moyen nous en sommes venues à ne plus nous parler, je l'ignore encore.
Un long quart d'heure s'est écoulé avant que l'on vienne frapper à la porte. Je me lève de mon lit, passe gentiment remettre mes cheveux en ordre devant le grand miroir sur la porte de la salle de bains et va ouvrir au serveur. A la serveuse, devrais-je dire. C'était une jeune fille que j'avais déjà remarquée au restaurant, qui avait l'air très douce. Je lui souris, tout en lorgnant mon café.
— Bonjour, merci d'être venue aussi rapidement, je commençais à mourir d'anxiété !

ALEXSANDRA & MAÏLYS
« donne moi la gourdasse, j'ai grand soif. »

"Je suis vraiment désolée d'avoir pris tout ce temps, mais je me suis perdue. Tous ces chiffres, on s'y perd..."
Je craque complètement en entendant cette jeune serveuse me parler à nouveau. Elle me rappelle un peu Natalia, même si elle est beaucoup moins âgée qu'elle, c'est dans les manières qu'elle lui ressemble. La dernière fois que nous nous sommes vues, c'était au restaurant. J'étais venue déjeuner seule, et c'est comme si elle avait sentie que je n'avais pas envie d'être dérangée par un serveur. Elle est venue instinctivement s'occuper de moi, avec sa voix toute douce et sa petite bouille de jeune adolescente perdue. Beaucoup de sourires, elle revenait souvent voir comment se passait mon repas, tellement que le pourboire que j'ai fini par lui laisser en m'en allant dépassait tout ce que j'avais pu donner au cours de ma vie aux divers serveurs qui se sont occupés de moi, ou parfois de moi et mes amis. Elle le méritait bien, elle faisait son travail correctement, et était très aimable, comparée à d'autres que j'ai pu rencontrer, leur seul souci étant de faire passer le temps plus vite afin de rentrer chez eux au plus tôt.
Je prends le café qu'elle me tend et secoue une de mes mains en soufflant. Il est brûlant, et le carton du gobelet recouvert d'un petit couvercle en plastique étanche ne permet pas d'éradiquer la chaleur. Il est tellement chaud que je finis par le lâcher, comme une trimarde. J'ouvre grand les yeux, et m'excuse auprès de la jeune serveuse.
— Oh là là, quelle maladroite, je suis désolée... Il était tellement chaud que ma main l'a lâché d'elle-même... Je me demande comment, de vos fines mains, vous avez pu me l'emmener jusqu'ici... Surtout si vous vous êtes un peu perdue... Oh, je suis vraiment vraiment désolée, je vais m'habiller et me rendre au restaurant afin qu'on me prépare une commande à emporter... Et aussi une serpillère pour essuyer ça, sinon la moquette va en prendre un coup.
En effet, il y a du café partout à nos pieds. En tombant, le gobelet s'est légèrement aplati, par conséquent le couvercle étanche à sauté et a laissé le café brûlant se déverser. Je me relève, les mains pleines de café à cause du gobelet et du couvercle que j'ai ramassés, et me retourne afin d'aller jeter les déchets dans la poubelle de la cabine. Une fois ça de fait, je me retourne à nouveau vers la petite serveuse et m'excuse platement en joignant les deux mains.
— Vous devez m'en vouloir... Et avoir du travail, aussi je ne vous retiens pas, je m'occuperai de ramasser, c'est de ma faute après tout...